Publié le : 1er juillet 2005
ataraxie et sa rosa
Une holà générale pour remercier Equilibrium Music dont la production estivale n’est autre qu’un double digipack limité à 2000 exemplaires, proposant un CD d’ ATARAXIA et un autre d’ AUTUNNA ET SA ROSE. Ces deux formations italiennes avaient en effet partagé l’affiche le 31 V .003 dans l’église San Michele, à Rovigo, et adapté pour la circonstance leur répertoire au lieu saint. Témoignage de cette soirée, Odos Eis Ouranon (La Via Verso Il Cielo) aurait dû/pu sortir plus tôt, si ce n’est qu’en l’an de grâce .003, Riccardo Spaggiari n’était pas encore le percussionniste attitré d’ATARAXIA. Ces derniers ont donc préféré réenregistrer les morceaux ultérieurement, effaçant ainsi toute trace de mandragor...

 

...Du coup, le disque d’ ATARAXIA, Strange Lights n’est pas un live. Qu’à cela ne tienne, les morceaux sont interprétés tels qu’ils le furent ce soir là, c’est-à-dire principalement axés sur le piano. Giovanni Pagliari troque en effet son casio aux possibilités restreintes pour un vieux Wiepking & Co dont les notes s’étiolent comme autant de gouttelette de rosé(e). Et le résultat ne manque pas de surprendre. Là, tout n’est que luxe, calme et volupté comme dirait l’autre... Une sensibilité très ‘fin de siècle’ nourrit ces douze plages à mi-chemin entre Claude Debussy, Erik Satie et la musique baroque. Reléguées au plan d’accompagnement, les guitares de Vittorio Vandelli tissent une toile classieuse à partir de ses arpèges subtils. Et que dire de la prestation de Francesca Nicoli ? Toujours aussi parfaite, un vrai chant de sirène - pas le mièvrement beau, mais le guttural, grave, opératique, funeste, austère, cajoleur, inquiétant... celui qui illumine, par ses prolongements et arabesques singulières, le monde des morts. J’ai l’impression de retomber douze années en arrière, découvrant ATARAXIA pour la première fois avec la cassette Arazzi, et de croire à nouveau que deux chanteurs se partagent les voix (un homme, une femme)... certes, j’ai un peu grandi depuis et sais qu’il n’en est rien : Francesca module son timbre comme bon lui semble. Et quel ravissement ! Les arrangements discrets de Riccardo et le son, d’une pureté abyssale, accentuent cet effet de perfection. Mouettes, galets, ressac, algues, plus que jamais l’eau de l’amer est mise en abîme ; écouter leur musique revient à coller contre son oreille un coquillage. Tout ici m’évoque la peinture Depths of the Sea de Sir Edward Burne-Jones, entre le blocage, l’admiration et l’imagination qui s’agite - ni attiré vers le fond ni repoussé vers le haut, juste suspendu dans un temps qui s’annihile. Omniprésente, la thématique de la mer berce tout du long, enveloppe l’auditeur dans un remous d’émotions, ouvre les vannes des yeux le temps d’un « tu es la force du silence » épuré et digne, d’un « bonthorp » limpide comme une longue et inexorable noyade, d’un « tisseuses lunaires » de bon aloi, et tant d’autres... Sans compter les deux morceaux inédits jusque lors, « strange lights » (très beau texte) et (surtout) « seas of the moon », majestueux et envoûtants à souhait. D’où ces nouvelles définitions du terme « ataraxie » : le pouvoir de révéler à chacun la beauté qui est enfouie en lui. Atteindre d’un coup, d’un seul, à l’évidence de l’Absolu...

Trêve de philosophie, le Logos d’ AUTONNA ET SA ROSE s’avère plus difficile d’accès. De prime abord les éructations méphistophéliques de Saverio agacent passablement, une irritation qu’apaisent parfois les arias de sa compagne dont les interventions sont tout autant délicates qu’incongrues (des plus expressifs, son soprano s’amuse sur le fil de la rupture, s’emporte jusqu’à des sommets vertigineux pour en redescendre brusquement et se briser en des éclats de rire ou de sanglots). Puis la dimension théâtrale s’affirme et se manifeste plus clairement. Alors, la cruauté de Momo nous ramène à des cercles déments bien familiers - à cette infernale comédie qu’est l’existence. D’où cette démesure, ce ton tragique et déchirant qu’ont choisi ces italiens. Car il ne faut pas s’y tromper : le piano et le violoncelle ne sont là que pour insinuer une éventuelle affiliation au mouvement dit ‘néo-classique’ (ou le plus tordant ‘heavenly voices’), leur utilisation est libre et se rapproche plus dans la forme à certains compositeurs de musique contemporaine (Ligeti et Penderecki en tête). Le charme opère lentement, jusqu’au point culminant du concert, un final magistral : les appropriations exaltées - plus que des reprises - de « canzona » (ATARAXIA) et « egypt » (TUXEDOMOON - Steven Brown a, par ailleurs, produit un de leurs albums) et l’apocalyptique « temps fumé ». Esthètes du néant, du chaos intérieur que chacun porte en soi, ils dévoilent là une réalité qui est peut-être une absence d’être. Le vide. Or, quel sens propose cette performance ? Non pas de ne rien signifier, mais de signifier le rien. Et c’est beaucoup.


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amadeo